L’agriculture de conservation ? Une journée pour se former et s’informer

Le 22 octobre, Saint Louis Sucre a convié ses inspecteurs de culture à se former à l’agriculture de conservation. Aux manettes, Julien Senez, un agriculteur qui teste cette pratique depuis plus de 12 ans. L’enjeu est de taille : accompagner les planteurs, de plus en plus nombreux, à souhaiter changer de modèle agricole.

Julien Senez

Agriculteur, installé à Vignemont dans l’Oise

« Comment développer l’auto-fertilité de ses sols grâce à l’agriculture de conservation ? » Cette question, les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à se la poser. Pour y répondre, les inspecteurs de culture de Saint Louis Sucre ont, le 22 octobre, suivi une formation auprès de Julien Senez. Cet agriculteur, installé à Vignemont dans l’Oise, a commencé à s’intéresser à l’agriculture de conservation il y a 12 ans. 

Partager son expérience

« En reprenant la ferme, j’ai très vite eu l’envie de faire évoluer le modèle en place, pour rehausser le niveau de fertilité de mes sols. Ma plus grande fierté : avoir réussi à faire croître mon taux de matière organique de 1,7% à 2,8% en 10 ans, explique-t-il. Mais les références et les expériences françaises manquaient. Alors je suis allé les chercher ailleurs, notamment en Amérique du Sud et en Nouvelle Zélande. Au fil des années, j’ai testé plus de 25 protocoles d’essais sur ma propre ferme. J’ai partagé les réussites et les échecs sur ma chaîne Youtube et via les réseaux sociaux. Face à l’explosion des demandes sur le sujet, j’ai développé, il y a trois ans, un centre de formation dédié aux agriculteurs mais aussi aux techniciens de coopératives agricoles, aux négociants ou aux entreprises de machinisme agricole. » Aujourd’hui, sa société « Kiwi formation » organise une formation tous les 10 jours ce qui, à l’année, représente plus de 400 personnes formées. 

Se poser les bonnes questions

Jérôme Caullier, inspecteur de culture dans l’Aisne pour Saint Louis Sucre, confirme que les planteurs s’intéressent de plus en plus à l’agriculture de conservation. « Comment arrêter le labour ? Quelles conséquences sur le pilotage du désherbage ? De quels équipements ai-je besoin ? Quels couverts choisir ? Les questions sont nombreuses. Lors de visites de fermes ou de matinées techniques, nous abordons parfois ces thèmes mais jamais dans leur ensemble. Une telle journée de formation permet de répondre à toutes les interrogations qu’un agriculteur peut se poser : du choix du matériel à celui des espèces à implanter en passant par la gestion de la fertilisation et des adventices et ainsi, dans le cadre de notre programme Mont Blanc, de pouvoir accompagner ceux qui souhaitent passer le cap… » 

Jérôme Caullier

Inspecteur de culture à Roye

Couvrir son sol pour réduire les charges

Pourquoi tant d’engouement pour ces pratiques ? « Parce que le changement climatique impacte de plus en plus lourdement la productivité des cultures et donc, la rentabilité des exploitations, constate Jérôme Caullier. Excès d’eau ou sécheresse, le sol peut devenir un allié. Et force est de constater que les techniques d’implantation « conventionnelles subissent de plus en plus d’échec. Maintenir un sol couvert toute l’année semble bénéfique pour préserver l’humidité des sols ou, à l’inverse limiter les inondations. » L’autre enjeu de cette technique est de réduire les charges en limitant le passage d’outils et en réduisant les apports d’intrants. Opter pour des mélanges d’espèces, dont certaines s’avèrent répulsives vis-à-vis des ravageurs, pourrait également être une solution pour diminuer la pression insectes. « À l’heure où le nombre de solutions phytosanitaires ne cesse de se réduire, nous devons étudier chaque alternative », poursuit-il.

Passer en revue le parc de matériel

La formation inclut non seulement une partie technique, en salle, mais aussi une visite dans les champs pour observer plantes et sol. « Dans ce système, le couvert devient presque la culture principale, constate Jérôme Caullier. D’où l’importance de bien réussir son implantation. Ce tour de plaine m’a permis de me rendre compte de visu de la diversité et de l’aspect des différents couverts ». Au cours de cette journée, la partie machinisme n’a pas été oubliée. Un long moment a été consacré à la visite du centre de reconditionnement de semoirs, créé il y a un an. « La plupart des outils de la ferme ont été aménagés et adaptés à cette pratique, précise Julien Senez. Ce qui m’anime au quotidien, c’est de proposer des solutions de machinisme innovantes à des coûts modérés pour permettre l’essor de cette nouvelle forme d’agriculture à travers l’Europe. Lors de chaque formation, je prends du temps pour expliquer l’adaptation des éléments semeurs et détailler les différents types de dents utilisées. Investir dans du nouveau matériel peut freiner certains agriculteurs. Mais là encore, des solutions existent : location, achat à plusieurs, adaptation... L’impact économique de cette transition est également abordé afin de n’oublier aucun aspect de l’itinéraire. Pour que les agriculteurs fassent leur propre choix en ayant étudié chaque pan de cette technique. » 

« Le plus grand changement... c’est dans la tête ! »

Julien Senez en est convaincu : « changer de pratique, faire évoluer son système de production en limitant la prise de risque au maximum fait peur. Au final, le plus grand changement est dans la tête ! Désormais, nous avons les connaissances pour déployer les fermes en semis direct pur dès la première année, sans réaliser de période de transition. Il est impératif que les fermes mutent vers un bilan carbone positif en moins de deux ans. Les premières années, les échecs peuvent être nombreux si les techniques ne sont pas comprises et/ou mal appliquées. Chacun doit en avoir conscience. La visite de fermes converties à l’agriculture de conservation permet de se former, d’observer des essais, pour ensuite, adapter ces pratiques à son terroir. Le démarrage est complexe car les sols possèdent souvent un faible niveau de vie biologique. Au fil du temps, la vie revient, les sols sont de plus en plus poreux, notre système « encaisse » alors plus aisément les périodes de sécheresse et de fortes pluies. Et ce, tout en réduisant la charge de travail. Le niveau de stress diminue également. La formation que je propose est souvent un électrochoc pour les agriculteurs. Une telle évolution se prépare et doit se faire progressivement sur l’exploitation. D’où la nécessite d’être accompagné et formé sur le sujet. » 

Pierre-Étienne Bru

Inspecteur de culture à Étrépagny

« Ne pas hésiter à se former à plusieurs »

« En assistant à cette formation, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. À l’école, aucun cours n’évoque l’agriculture de conservation. Pourtant, face au changement climatique, les questions sont nombreuses et les essais sur le sujet m’intéressaient. Les agriculteurs se rendent compte que leur sol « ne travaille » pas bien. Mais de là à passer le cap et se tourner vers l’agriculture de conservation, le pas est parfois encore trop grand à franchir, notamment quand la situation financière de l’exploitation est tendue. Cela nécessite de sortir de sa zone de confort et de prendre, il est vrai, un certain risque. Le sol doit être vu comme un être vivant qui peut se suffire à lui-même. Cette formation était très intéressante. Je conseillerais aux agriculteurs de la faire à plusieurs, entre voisins ou amis, pour voir ce qui est possible de mettre en place à leur échelle : essais, achat de matériel... À plusieurs, il est souvent plus facile de se lancer. Par ailleurs, avec le programme Mont Blanc mis en place chez Saint Louis Sucre, les inspecteurs de culture que nous sommes, allons ainsi être encore plus armés pour impulser ces nouvelles pratiques et aider les agriculteurs dans leur démarche. »

Anne-Marie Thomas

Inspectrice de culture à Roye

« J’ai découvert une incroyable diversité de couverts végétaux »

« La formation était parfaitement adaptée à notre métier d’inspecteur de culture. Les deux intervenants, très pédagogues, nous ont permis d’observer toute la richesse des essais menés sur la ferme de Julien Senez. J’ai découvert une incroyable diversité de couverts végétaux, adaptés à chaque situation en fonction de la culture suivante, de la date d’implantation, date de destruction... Chez Saint Louis Sucre, grâce au programme Mont Blanc, nous avons déjà testé plus d’une dizaine de mélanges de couverts et nous en commercialisons un en particulier qui produit une forte biomasse, très bénéfique pour la culture de la betterave.

Là, cela allait beaucoup plus loin en intégrant les notions d’agriculture de conservation, de semis direct. Dès le lendemain, j’ai échangé sur le sujet avec plusieurs agriculteurs, que nous allons pouvoir accompagner dans le cadre du programme Mont Blanc. Ces thématiques sont régulièrement abordées : réduire les utilisations d’intrants, améliorer la structure de son sol... chacun cherche des solutions. »