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« Je constate sur le terrain davantage de situations d’impasse technique en désherbage, alerte Jean-Baptiste Leroy dans son mémoire. Le salissement s’intensifie malgré les doses d’herbicide appliquées dans les règles. » 

D’ailleurs, il se souvient qu’avant, lorsqu’il allait dans les fermes, le premier sujet abordé c’était : « Combien as-tu fait de quintaux ? » Aujourd’hui, les discussions débutent souvent par « Tes parcelles sont-elles propres et comment as-tu fait ? » 

Échecs du désherbage, des causes multifactorielles

Les agriculteurs sont de plus en plus confrontés à la perte d’efficacité des solutions chimiques ainsi qu’au retrait de molécules. De plus, le changement climatique brouille les repères. En raison des saisons moins marquées, les levées de graminées s’échelonnent sur toute l’année. Avec des périodes de sécheresse plus longues et intenses, les créneaux d’intervention au champ se réduisent. En même temps, la main-d’œuvre agricole diminue et les charges augmentent !

Alors, pour faire face, les agriculteurs mutualisent les chantiers, partagent le matériel, font davantage appel aux ETA. Mais, une telle organisation accroît les risques de dissémination des adventices entre les fermes. « Une moissonneuse-batteuse peut aujourd’hui moissonner plus de 500 ha par an, explique Jean-Baptiste Leroy. Elle passera forcément d’une parcelle sale à une parcelle propre. » Enfin, la rareté des systèmes de polyculture-élevage limite les possibilités de casser les cycles biologiques des graminées adventices. En effet, en récoltant les fourrages avant la grenaison, cela évitait de constituer un stock semencier dans le sol.

La gestion des graminées devient donc un exercice de précision, mêlant technicité, stratégie et vigilance collective.

Les marges de manœuvre pour désherber efficacement se rétrécissent. Des substances actives phytosanitaires disparaissent chaque année, parallèlement, les graminées développent des résistances à certains herbicides. De plus, même si le désherbage s’avère efficace à 99 %, il laissera assez de pieds pour relancer l’infestation. Un simple pied de ray-grass peut engendrer jusqu’à 400 graines par mètre carré.

Des leviers agronomiques et mécaniques à portée de main

Pour renouer avec un désherbage durable, Jean-Baptiste Leroy constate qu’il n’existe pas de solution miracle. Seule une combinaison de leviers, à ajuster à la parcelle, apporte la meilleure efficacité. Elle commence par une bonne compréhension du cycle biologique des graminées adventices et doit s’ouvrir aux innovations technologiques.

- Associer les techniques de travail du sol
Le labour doit être occasionnel, tous les quatre ans au minimum. Ainsi, il enfouit les graines sans trop perturber la structure. Un labour annuel n’est pas recommandé car il remonte celles encore viables. D’ailleurs, le taux annuel de décroissance (TAD) est de 75 %. Cela signifie que chaque année 75 % des graines du stock sont détruites.

Les faux semis réalisés dans de bonnes conditions permettent de stimuler les levées afin de mieux les détruire. Mais, la réussite de cette méthode dépend de la rigueur d’exécution (voir également le mémoire de Pierre-Etienne Bru). Ensuite, le semis doit être réalisé de manière superficielle en veillant à ne pas trop remuer la terre.
L’efficacité du faux semis est renforcée en le combinant à d’autres leviers tels que le décalage de la date de semis du blé ainsi que l’allongement et la diversification des cultures. 
« Un décalage de trois semaines de la date de semis, après un faux semis, peut réduire de 90 % la pression du vulpin », note Jean-Baptiste Leroy.

- Diversifier les cultures
Allonger la rotation en insérant davantage de cultures de printemps perturbe le cycle biologique du vulpin et du ray-grass. Autre atout, cela permet d’alterner les matières actives. De plus, le désherbage mécanique est plus facile à mettre en œuvre sur des cultures en ligne comme la betterave et le maïs.

- Ensilage immature
Enfin, malgré l’activation de ces leviers, les situations d’impasse peuvent perdurer. La solution doit alors être radicale.
« Parfois, mieux vaut ensiler un blé infesté que récolter à maturité et enrichir le stock semencier, estime Jean-Baptiste Leroy. Cela permet de retirer une partie des épis. Ce choix, bien que difficile économiquement, est gagnant à moyen terme. »

Évolutions techniques et technologiques

Les technologies de binage, d’écimage ou même de désherbage laser offrent de nouvelles perspectives. L’écimage, devenu courant, permet de retirer les épis d’adventices qui dépassent de la culture.

La gestion des menues pailles, peu développée sur le terrain, est signalée dans la bibliographie. Elle cible le ray-grass, dont les graines restent accrochées à l’épi. Des systèmes innovants permettent de broyer et récupérer dans un caisson ces résidus ou de concentrer les pailles sur le dessus des andains.

Grâce aux technologies GPS et caméras, le binage devient plus précis, même en céréales. « Désormais fréquents dans les fermes, ces équipements rendent le binage bien plus efficace », souligne-t-il.

La robotique entre aussi en jeu. « À la ferme agroécologique d’Étrépagny, Saint Louis Sucre teste le robot Farmdroid FD 20 depuis 2021 », précise Jean-Baptiste Leroy. Il cite également le désherbage ciblé par l’intelligence artificielle : « Une technologie prometteuse, mais encore coûteuse ».

Les recommandations

Jean-Baptiste Leroy défend une méthode fondée sur l’observation, la complémentarité et l’adaptabilité : alterner les cultures, travailler le sol avec précision, intégrer le binage, le faux semis, choisir le bon moment pour semer. Le programme herbicide ajusté à la pression et à la flore adventice s'effectue dans les conditions optimales. « Le salissement ne se résout pas en un an mais dans la durée, insiste-t-il. Il faut non seulement associer les leviers mais aussi rester en veille sur les travaux que chacun mène. Le problème a une telle ampleur que la recherche avance vite. »  

L'inspecteur de culture appelle également à une vigilance collective. Entre voisins, Cuma ou ETA, une meilleure coordination est nécessaire pour éviter les recontaminations.

Enfin, Jean-Baptiste Leroy projette d’explorer certaines pratiques encore peu déployées dans le système betteravier, comme la gestion des menues pailles.