
« L’agroécologie nécessite une mise à jour constante des connaissances »
Nos équipes Le 31/07/2025Échange entre Philippe Choquet, directeur général de l’Institut polytechnique UniLaSalle, et Thomas Nuytten, directeur betteravier chez Saint Louis Sucre. Ils abordent la montée en compétences des inspecteurs de culture en agroécologie ainsi que la circulation des savoirs.

Alors que les inspecteurs de culture viennent de recevoir ce 2 juin leur diplôme BADGE, Philippe Choquet, directeur général d’UniLaSalle et Thomas Nuytten, directeur betteravier de Saint Louis Sucre reviennent sur l’expérience de formation des inspecteurs de culture. Ils partagent également leur vision sur les conditions essentielles à la réussite de la transition agroécologique pour les agriculteurs français.
Quel bilan tirez-vous de l’expérience de la formation BADGE avec les inspecteurs de culture de Saint Louis Sucre ?
Philippe Choquet : Ce partenariat avec Saint Louis Sucre incarne une belle dynamique de diffusion des savoirs. Il permet à une école d’ingénieurs de transmettre au monde agricole les connaissances issues de la recherche. Les inspecteurs de culture deviennent alors les relais concrets de cette transmission. Mais ce n’est pas un échange à sens unique. Les questionnements du terrain, les réalités économiques ou agronomiques vécues par les inspecteurs, viennent nourrir nos recherches.
Thomas Nuytten : L’interaction a été très forte. Les inspecteurs ont pu échanger entre eux, avec les enseignants-chercheurs et les intervenants extérieurs. Certains d’entre eux ont plus de trente campagnes betteravières derrière eux, et ils sont revenus sur les bancs de l’école pour s’ouvrir à de nouvelles approches. Cet esprit d’ouverture, cette envie d’apprendre et aussi de transmettre, ont enrichi tout le monde.
Pour réussir la transition agroécologique, la formation des techniciens est-elle indispensable ?
P.C. : Elle est même stratégique. L’agriculture agroécologique ne repose plus sur une association de techniques mais sur de l’intelligence injectée dans le système. Cela suppose une montée en compétences. La formation continue devient une condition de réussite. Le cas de Saint Louis Sucre en est l’illustration : on ne peut pas engager une transition de cette ampleur sans transformer en profondeur les équipes sur le terrain.
T.N. : Chez Saint Louis Sucre, nous parlons souvent d’agriculture régénératrice. Elle suppose des changements de pratiques qui doivent rester rentables. Les agriculteurs suivront leurs conseillers si ces derniers sont crédibles. Et cette crédibilité vient de la formation, de l’expérience, et de résultats démontrés dans nos essais. Massifier les pratiques agroécologiques, ce n’est pas dupliquer un modèle unique. C’est construire, localement, des références robustes, incarnées par des agents de plaine compétents.
Cette transformation des compétences doit-elle s’inscrire dans la durée ?
P.C. : Clairement. Il ne s’agit pas de se former une fois pour toutes. La durée de vie d’une connaissance scientifique est aujourd’hui estimée à deux ans contre vingt ans au début de ma carrière. Ces chiffres disent tout. Nos systèmes évoluent vite. Il faut donc une actualisation régulière. C’est valable pour les agriculteurs et encore plus pour ceux qui les accompagnent.
T.N. : C’est là que les relations avec les instituts techniques et les écoles d’ingénieurs prennent tout leur sens. Nos structures doivent continuer à créer des ponts. À LaSalle Beauvais, il y a des laboratoires, des enseignants-chercheurs et des travaux sur l’agroécologie. Ensemble, on peut générer des références solides, construire une veille partagée.
On ne peut pas engager une transition sans transformer les équipes sur le terrain.

Philippe Choquet, directeur général d’UniLaSalle :
« La formation continue très concrète destinée aux acteurs du terrain alimente aussi nos enseignants-chercheurs. C’est un aller-retour permanent ».
Comment favoriser cette mise à jour permanente des savoirs sur le terrain ?
P.C. : En développant la confiance et la proximité entre les acteurs des filières. Il faut travailler en collectif. L’agroécologie ne peut pas être imposée de manière uniforme. Chaque ferme a ses spécificités. On parle de massification mais à condition de tenir compte des situations locales. C’est en cela que les inspecteurs de culture jouent un rôle clé : ce sont eux les courroies de transmission entre les expérimentations locales et les centres de recherche.
T.N. : Je partage totalement. Nous croyons beaucoup à l’innovation ascendante. Ce sont les agriculteurs qui expérimentent, avec l’appui de techniciens. Et, ce sont leurs observations que nous devons analyser, comprendre, faire remonter, puis diffuser. Ce mouvement doit compléter l’innovation descendante. L’un des enjeux du déploiement des pratiques agroécologiques repose sur la structuration de ces allers-retours entre le terrain et la recherche.
Le numérique peut-il accélérer cette diffusion des connaissances ?
P.C. : Absolument. Il ouvre des possibilités immenses, pour renforcer les liens entre les structures et soutenir le conseil. Mais cela suppose une logique de réseau et d’interfaces entre les acteurs. On sort du modèle pyramidal.
T.N. : Oui, nos deux structures le démontrent : on ne peut pas réussir seul. Il faut s’appuyer sur des outils, construire des partenariats et sécuriser la prise de risque. Le numérique est un appui pour conforter les décisions. Il permet également de gagner du temps pour partager les informations.
Un dernier conseil ?
P.C. : La clé de tout, c’est l’intelligence collective. On avance ensemble, chacun dans son rôle, mais toujours en interaction.
T.N. : Et toujours avec cette idée d’une massification ajustée. Pour s’ancrer dans les territoires, les leviers agroécologiques doivent prouver leur performance technique et économique. Dans ce cas, la transition agricole ne peut être que progressive. C’est ce que nous faisons avec des programmes comme Mont Blanc. L’enjeu est clair : développer l’agriculture régénératrice à large échelle sans perdre de vue la réalité des exploitations.

Thomas Nuytten, directeur betteravier Saint Louis Sucre :
« Avec le programme Mont Blanc, nous misons sur l’innovation ascendante. Les agriculteurs testent sur le terrain, accompagnés par les techniciens formés aux pratiques agroécologique ».



