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Sur la plaine limoneuse du secteur du Neubourg, l’agriculture intensive a remplacé l’élevage. Les rotations sont courtes, les cultures d’automne omniprésentes. Résultat : les adventices graminées prolifèrent, parfois à un point tel que les agriculteurs sont contraints de broyer des parcelles avant la moisson 

Cette préoccupation de terrain, vécue au quotidien, a poussé Pierre-Etienne Bru à choisir ce sujet de mémoire dans le cadre de la formation Badge à UniLaSalle Beauvais.
« Depuis plusieurs années, j’observe vraiment une dérive inquiétante de l’efficacité des programmes herbicides sur le ray-grass », partage-t-il.

Face à cette impasse technique, Pierre-Etienne Bru évalue l’impact des leviers agronomiques et des techniques culturales : « Rotation, travail du sol, couverture végétale, chimie : chaque levier a sa place, mais leur efficacité dépend de leur articulation, constate-t-il. C’est cette cohérence d’ensemble qui fait la différence. »

Le mémoire, intitulé « Comment allier gestion des graminées et techniques agro-écologiques sur le secteur du Neubourg », explore des solutions concrètes pour faire face à une infestation des parcelles par les ray-grass dits « résistants ».

Rallonger les rotations avec les cultures de printemps

Sur les exploitations céréalières du secteur du Neubourg, les successions de blé ou d’orge favorisent la propagation des graminées, issues de la même famille botanique. Pour enrayer cette dynamique, l’un des leviers consiste à allonger la rotation à six ou sept ans et d’y intégrer des cultures de rupture. Parmi celles qui conviennent à cette région agricole : le lin, le pois, l’orge de printemps, la pomme de terre, la betterave ou encore le maïs. Cet allongement de la rotation perturbe le cycle biologique des graminées adventices dont les pics de levées sont à l’automne. De plus, ces espèces permettent d’introduire de nouvelles molécules herbicides pour lesquelles le ray-grass ne développe pas de résistance.

Optimiser le faux-semis

La technique du faux-semis est bien connue, mais elle nécessite rigueur et timing. Après récolte, il faut déchaumer dans les 48 heures pour provoquer une levée massive des graines présentes en surface. L’objectif : vider le « stock semencier » du sol. Ainsi, Pierre-Etienne Bru recommande d’aller chercher les graines de graminées en profondeur pour favoriser leur levée. Dans ce cas, il propose un déchaumage en trois passages : d’abord un outil profond type décompacteur ou fissurateur pour remonter les graines (20-25 cm), puis un passage avec un outil à dents (10 à 15 cm). Celui-ci est suivi d’un outil à disques (5 cm) pour stimuler la levée des graminées avant leur destruction. En répétant l’opération toutes les trois semaines avant le semis, l’effet est significatif : jusqu’à 80 % de graines levées peuvent être éliminées.

Repositionner le labour avec stratégie

Souvent décrié, le labour garde sa place dans le dispositif, mais à la bonne fréquence et au bon moment. Enfouir les graines viables après un échec de désherbage, surtout en fin d’été, évite qu’elles lèvent pendant plusieurs années. En effet, pour germer elles doivent se situer dans les premiers centimètres du sol. Ainsi, un labour à 15 ou 20 cm, tous les trois ou quatre ans, peut faire chuter durablement la pression des graminées. Attention cependant à ne pas labourer systématiquement : cela risquerait de remonter en surface des graines plus anciennes.

Raisonner les couverts végétaux

Les couverts ne sont pas une simple obligation réglementaire. Bien choisis et implantés dans une logique de rotation, ils offrent de multiples bénéfices. Un couvert dense, semé rapidement après récolte, limite la lumière disponible pour les adventices. Certaines espèces, comme la phacélie ou la moutarde, produisent même des substances allélopathiques qui freinent la germination des graminées. Les légumineuses, quant à elles, enrichissent le sol en azote tout en occupant l’espace. En clair : un bon couvert, bien piloté, agit comme un désherbant sélectif naturel.

Améliorer la qualité de pulvérisation

La chimie ne disparaît pas du paysage, mais son efficacité dépend de conditions précises. Pierre-Etienne insiste : les traitements doivent être appliqués au bon moment, avec un matériel bien réglé. Il recommande d’intervenir tôt le matin, lorsque l’humidité relative est élevée (> 60 %) et que les températures sont modérées (10 °C). Cela favorise la pénétration des produits dans la plante. Il alerte aussi sur le choix des buses ainsi que leur remplacement régulier, la pression de pulvérisation et la qualité de l’eau utilisée. Enfin, l’ajout d’adjuvants, comme des huiles végétales ou du sulfate d’ammonium, peut améliorer la répartition et la rémanence des gouttes sur la feuille.

Une hygrométrie élevée fait gonfler la cuticule, ce qui détend les fibres et facilite la pénétration des produits. Elle permet aussi de diminuer les pertes des bouillies par évaporation.  

La rosée augmente la perméabilité de la cuticule et permet des redistributions de la matière active. Par contre, en cas d’excès, elle peut favoriser le ruissellement du produit.

Les recommandations

Pierre-Etienne Bru insiste sur une idée centrale : la réussite passe par une adaptation continue.

- Observer avant d’agir. Adapter les pratiques à l’année, au type de sol, au salissement.
- Varier les semis. Alterner cultures d’automne et de printemps en décalant les dates de semis lorsque c’est possible.
- Réduire le travail du sol. Privilégier le semis direct ou simplifier le travail du sol pour préserver la structure.
- Réintégrer l’élevage ou des prairies temporaires. Quand c’est possible, elles aident à nettoyer durablement les parcelles.
- Combiner tous les leviers. Par ailleurs, la chimie bien raisonnée et appliquée reste un complément nécessaire.

Parcelle de betteraves de la région du Neubourg avec une très forte infestation de ray-grass.
Parcelle de betteraves de la région du Neubourg avec une très forte infestation de ray-grass.
Le programme herbicide sur betterave devrait diminuer le niveau de pression en ray-grass.  Toutefois, avec une telle infestation, la mise en œuvre des pratiques agronomiques à l’échelle de la rotation est indispensable.
Le programme herbicide sur betterave devrait diminuer le niveau de pression en ray-grass. Toutefois, avec une telle infestation, la mise en œuvre des pratiques agronomiques à l’échelle de la rotation est indispensable.